Cette rubrique est consacrée aux comptes-rendus de lectures. Il pourra s’agir de témoignages, de romans ou d’ouvrages plus théoriques.Ainsi, ce seront aussi bien des récits autobiographiques d’ouvriers, de militants, que d’écrits politiques ou sociologiques.
Un point commun : leur intérêt pour la compréhension de la question des classes sociales et de l’exploitation du travail. Le choix des œuvres proposées ne suivra pas un plan préétabli, ni l’actualité éditoriale ou politique. Il sera le fruit d’un choix plus subjectif.
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« Sociologie de la bourgeoisie »
Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, éditions La Découverte, collection repères, Paris, 2015 (3ème édition), 128 pages, 11,60 €.
Une études des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot sur la haute bourgeoisie. Tous deux anciens directeurs de recherche au CNRS (France) leurs recherches portent depuis des décennies sur la « haute société », considérant que si de nombreux travaux sont consacrés à la « grande pauvreté », trop peu se penchent sur la classe sociale dominante ; alors que comprendre les processus actuels de sa formation et de sa reproduction s’avère nécessaire pour appréhender en quoi les rapports de classe sont toujours à l’œuvre dans nos sociétés.
Dans cet ouvrage le lecteur ne trouvera pas la description des « grands de ce monde » complaisante et admirative à la Stéphane Bern. Les auteurs se sont livrés à une étude sociologique rigoureuse et sans complaisance de cette classe sociale. Un ouvrage sociologique, utilisant Marx et Bourdieu, mais dont la lecture est rendue agréable par un style clair évitant le jargon inutile.
On y comprend comment cette classe sociale constitue une classe en soi, c’est-à-dire caractérisée par des critères objectifs, mais aussi une classe pour soi, c’est-à-dire une classe bien consciente de son existence, de ses spécificités et pratiquant une solidarité de classe très solide.
L’ouvrage s’étend à des questions plus larges que le seul processus de reproduction de la bourgeoisie. Par exemple, nous y trouverons des conclusions intéressantes sur l’individualisme prenant des significations différentes dans la haute bourgeoisie et les classes moyennes ou sur la contradiction entre le « collectivisme pratique » de la bourgeoisie (solidarité de classe) et l’individualisme qu’elle prône en théorie.
Les auteurs éclairent leurs recherches à la fois par les apports de Marx et de Bourdieu qu’ils articulent comme suit :
« Dans l’approche des classes sociales il semble nécessaire de différencier, mais aussi de tenir ensemble, deux dimensions à la fois complémentaires et partiellement indépendantes, l’exploitation et la domination. La première renvoie à la classe en soi. Elle existe quel que soit la conscience qu’en ont les agents en fonction de eur place dans les rapports de production. La seconde est un rapport qui passe par les consciences, par les perceptions et les représentations et par une forme de capital spécifique, le capital symbolique. Ce rapport est donc à la fois la prise de conscience, plus ou moins élaborée, de la place réellement occupée dans l’espace social, et les représentations auxquelles conduit cette perception ». p.106
Un ouvrage à (re)découvrir à l’heure où cette même bourgeoisie s’emploie à nier obstinément l’existence des classes sociales, notion qu’elle veut faire croire obsolète, masquant par là même la férocité avec laquelle elle défend ses intérêt spécifiques.
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« Les prolos »
Louis Oury, éditions Agone, Mémoires sociales, 2016, Marseille
– 1ère édition en 1973
Pour inaugurer la rubrique lecture, nous débuterons par un classique de ce qu’on a appelé la littérature prolétarienne.

Du milieu agricole au monde ouvrier.
Louis Oury nous livre la chronique de son parcours d’ouvrier de 1950 à 1959. L’ouvrage débute en 1950, lorsque , jeune apprenti, il se trouve plongé dans l’univers du travail en usine. Cette description du monde du travail au jour le jour nous est livrée sans concession. Les rudes conditions de travail, les salaires insuffisants, la protection sociale déficiente. Un changement profond s’opère chez l’auteur lorsqu’il découvre le syndicalisme et la solidarité ouvrière. Prise de conscience qui s’accomplit pleinement dans la grève de 1955 qui toucha les chantiers navals de Saint-NazaireGrève qui permit, au terme de 7 mois de conflit parfois violent, d’obtenir une augmentation des salaires de 22% ! Déjà, ce conflit fut marqué par l’intervention des CRS, corps d’intervention qui depuis longtemps jalonne l’histoire de la répression des mouvements sociaux … jusqu’à nos jours.
Un livre précieux pour garder en mémoire un épisode des luttes qui ont constamment dû être menées pour conquérir de meilleures conditions de travail et des salaires corrects.
Extrait
« C’est donc sur ce terre-plein de Penhoët que je me retrouve en cette matinée de printemps, assis sur un rail aux côtés de Robert. J’ai repris le travail hier… Déjà je réponds au premier débrayage lancé par les syndicats. La veille, les gars de la tôlerie avaient débrayé en fin de matinée, mais aujourd’hui, jeudi le débrayage intéresse tous les ateliers. Ainsi nous sommes environ douze mille ouvriers en bleu de travail regroupés sur le terre-plein.
Malgré cette multitude, un silence relatif s’est instauré, car là-bas, sur l’estrade dressée le long des baraquements, un dirigeant syndicaliste s’apprête à parler au micro (…) »
« De ce fait (ndlr: l’unité d’action des syndicats), un sentiment d’unité galvanise la masse et la rend d’autant plus consciente de sa force. Car si un ordre de débrayage est lancé par les trois syndicats, il ne se trouve pas un seul jaune pour travailler, la sortie des ateliers est générale.
– Camarades !… lance Malnoë d’une voix forte. » (p.136)